COMMENTAIRE DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN
Miracle à la piscine de Bethsaïda - Discours apologétique / 5, 1 - 47
CHAPITRE V
MIRACLE AUPRÈS DE LA PISCINE DE BÉTHESDA DISCOURS APOLOGÉTIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
§ 1. Jésus se rend à Jérusalem.
Il guérit un homme malade depuis 38 ans.
1. Après cela, c'était le jour de la fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem.
Quelle est cette fête ? — Les commentateurs sont fort divisés ; et ils gémissent de ne pouvoir arriver à la certitude, car la connaissance certaine de ce point éclairerait toute la chronologie évangélique, tandis que l'obscurité où il demeure fait que quelques-uns restreignent le ministère apostolique de Notre-Seigneur à deux ans et demi, tandis que d'autres le prolongent encore d'une année entière. L'Esprit Saint qui assistait saint Jean a permis l'omission d'un mot qui eût tout résolu. Il ne l'aurait pas permise, si ce mot avait importé à la sanctification de nos âmes. - Vraiment l'Évangile ne se soucie pas de la curiosité scientifique des hommes, mais il leur dévoile largement ce qui importe à leur salut. Et puisque nous ne cherchons que notre édification, cessons rapidement Nous pouvons, d'ailleurs, avec plusieurs commentateurs, avec saint Irénée surtout, le témoin le plus rapproché de saint Jean, admettre que la fête ici en question est celle de la Pâque.
2. Or à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s'appelle en hébreu « Béthesda » et qui a cinq portiques.
Le nom de la porte indique que par là on introduisait les brebis dans la ville, celles surtout destinées aux sacrifices du Temple. Or sous ces portiques, galeries couvertes,
3-4. Étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et de paralytiques. Ils attendaient le bouillonnement de l'eau. Car un ange du Seigneur descendait, à certains temps, dans la piscine et agitait l'eau ; et celui qui y descendait le premier, après l'agitation de l'eau, était guéri de son infirmité, quelle qu'elle soit.
Il se faisait donc des miracles à la piscine de Béthesda. Travailler à entendre le texte autrement, pour échapper au miracle, c'est vouloir fausser ce qui est droit, et obscurcir ce qui est clair. Or il semble que c'est la peur du miracle qui a fait que plusieurs ont supprimé ou torturé ce texte.
Ne crions pas au miracle à la légère, et soyons circonspects à l'admettre ; mais ne le craignons pas. La peur, ici comme ailleurs, est mauvaise conseillère : elle déforme la juste vision des choses, et fausse et obscurcit l'intelligence. C'est ce que nous voyons chez les rationalistes. Le miracle est possible, puisqu'il est compris dans la puissance de Dieu et que, par ailleurs, il s'est produit. Et pourquoi, à l'époque où Notre-Seigneur paraissait, n'auraitil pas pu se produire à Jérusalem, centre religieux d'une nation qui, seule, avait le dépôt des révélations divines ? Depuis longtemps il ne paraissait plus de prophètes en Israël : Dieu avait fait comme le désert devant son Fils, afin qu'à sa venue, il se distinguât de tout autre, non seulement par sa propre grandeur, mais encore par la solitude où il se dresserait, et afin que, privé temporairement de ces guides, interprètes du ciel, Israël concentrât toutes les ardeurs, de son attente sur le prophète par excellence, le Messie. Mais il y avait moins de raisons pour que fût tarie toute source de miracles. Car rien ne sert à maintenir la foi comme la présence du prêtre et l'apparition du miracle. Le prêtre, par sa parole, rappelle la vérité à croire ; par sa conduite, il y incline les cœurs ; et le miracle nous fait sentir, malgré son invisibilité, Dieu présent et agissant dans les choses humaines. C'est comme un coup de verge sur nos sens tout enfoncés dans les choses visibles et passagères, et sur notre esprit exposé à s'endormir dans la constante et monotone perception des objets inférieurs que les sens lui offrent. C'est pourquoi Dieu a voulu que le miracle ne cessât jamais totalement dans son peuple choisi et dans son Église. Les temps les plus stériles et les moins religieux n'en sont pas dépourvus. De nos jours, Dieu fait des miracles nombreux et éclatants à la piscine de Lourdes ; il était libre d'en faire il y a deux mille ans, à la piscine de Béthesda.
5. Or là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans.
Il avait donc eu le temps d'essayer tous les remèdes. Quoi d'étonnant que désormais, il cherchât à avoir recours au miracle ?
Jésus l'ayant vu gisant, et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit : « Veux-tu être guéri ? »
Étonnante question ! Le malade, depuis trente-huit ans, soupire après sa guérison ; Jésus ne l'ignore ni de science divine, ni de science humaine ; et il l'interroge ! C'est qu'en règle générale, Jésus n'accorde pas de don aux âmes, sans les y préparer, afin qu'elles en retirent un profit spirituel, et que le bienfait ne soit pas uniquement temporel. — A la parole de Jésus, le malade se retourne ; son désir, s'avive et sa confiance aussi ; et cette confiance le prépare au don de Dieu,
7. Il répondit donc : « Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine dès que l'eau est agitée, et pendant que j'y vais, un autre descend avant moi. »
Son désir de guérir est si évident qu'il ne prend pas le temps de l'exprimer directement, mais il indique pourquoi il ne peut pas le réaliser. « Seul et languissant, je suis toujours devancé ; ah ! si j'avais un homme qui me jette rapidement et le premier dans la piscine ! vous qui me parlez avec intérêt, pourrais-je compter sur vous ? » On lit cela dans sa réponse, où l'on voit qu'il ne connaît pas encore Jésus et sa puissance.
8-9. Et Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton grabat et marche. » Et à l'instant cet homme fut guéri ; il prit son grabat et se mit à marcher. C'était un jour de Sabbat.
Quelle rapidité dramatique ! et quel saisissement chez les spectateurs, à la vue de cet homme qui commande à la maladie et à la santé et s'en fait obéir, comme autrefois la lumière obéit à Dieu même quand il dit : « Que la lumière soit et la lumière lut. » Nous qui savons que Jésus est ce même Dieu qui commanda autrefois à la lumière, nous ne nous étonnons pas que ses paroles aient une puissance créatrice.
Nous savons aussi que ses miracles visibles sont le symbole des merveilles invisibles qu'il opère dans les âmes. Que d'âmes sont couchées languissantes dans leurs mauvaises habitudes, comme le malade de Siloé était couché sur son grabat. Jésus vient passer près d'elles aussi, et leur dit : « Veux-tu être guéri, vis sanas fieri ? » et il n'attend que l'expression d'un vrai désir, pour proférer sa parole créatrice : « Lève-toi, prends ton grabat et marche. », Lève-toi du lit immonde de tes mauvaises habitudes ; prends le grabat de ta concupiscence, que tu dois porter en toi sans y succomber, et marche dans la justice. Mais souvent ces âmes molles n'ont qu'un désir inefficace d'être guéries. Elles gémissent de leur état, mais ne sont pas détachées de leurs tristes plaisirs, et redoutent l'effort qui leur est demandé pour seconder la grâce et résister à la concupiscence ; elles, ne veulent pas porter leur grabat, comme des victorieuses ; elles se décident à y rester vaincues et couchées.
Or Jésus ne guérit que ceux qui le désirent, nous offrant d'ailleurs de nous aider par sa grâce à former en nous ce désir efficace, gage de la victoire.
O Jésus, donnez-nous une grâce si pressante et si victorieuse que notre âme, divinement aiguillonnée, ne puisse plus tergiverser, qu'elle se lève, prenne son grabat, et marche guérie pour toujours.
Or, remarque saint Jean, c'était le Sabbat. Cette circonstance fut cause d'un gros incident. — Les Juifs, en effet, de dire non à Jésus qui avait disparu dans la foule, mais au miraculé qui calmement et triomphalement s'avançait avec sa couchette sur ses épaules, et parmi les frémissements de la foule étonnée et ravie :
10. « C'est aujourd'hui le sabbat, il ne t'est pas permis d'emporter ton grabat. »
Et ils semblaient avoir raison, à ne prendre que le sens strict de la lettre.
Mais la lettre tue et l'esprit vivifie.
Le miraculé qui a du bon sens et qui, avec la santé, a reçu quelque chose de l'esprit de Dieu, leur répond :
11. « Celui qui m'a guéri, m'a dit : « Prends ton grabat et marche. »
S'il a la puissance de me guérir miraculeusement, n'a-t-il pas celle de me dire ce que j'ai à faire en suite du miracle, et si j'ai reçu de lui la santé d'une manière divine, ne dois-je pas exécuter son ordre ? La réponse est péremptoire et il est difficile de s'y attaquer, sans s'attaquer à Dieu qui est derrière. Mais depuis Lucifer, un esprit orgueilleux et obstiné ne s'arrête point pour cela. Les hérétiques se sont-ils arrêtés devant le pape et l'Eglise, alors qu'ils pouvaient bien sentir derrière eux Dieu et son Christ ?
12. Ils lui dirent donc : « Quel est cet homme qui t'a dit : prends ton grabat et marche ? »
Leurs paroles donnent une impression de désinvolture et d'orgueil : le prodige aurait dû leur inspirer plus de retenue.
Toutes les choses humaines ont des faces multiples, un côté bon et avantageux, un côté moins bon et qui a des déficits ; et c'est pour cela que nous disons en bien des rencontres qu'il y a le pour et le contre ; et notre pauvre monde, avec tout ce qu'il renferme, ressemble à la lune, dont une partie de la sphère est toujours illuminée, tandis que, une autre partie est toujours dans l'ombre. Le bon esprit va d'instinct du côté de la lumière ; il est heureux d'en constater la présence et il l'affirme aussi loin qu'elle s'étend.
L'esprit chagrin ou mauvais va immédiatement se camper dans la zone enténébrée, et il affirme les ténèbres qu'il dit avoir sous les yeux, et nie la lumière qu'il a fuie volontairement. On ne le convainc pas. Jésus ne convaincra pas les. Juifs.
Continuons à lire le récit de saint. Jean : il est vraiment intéressant, plein de vie et de vérité.
13. Celui qui avait été guéri ne, savait pas qui l'avait guéri. Car Jésus s'était esquivé grâce à la foule qui était là.
Il avait tout droit à la reconnaissance du paralytique et à la louange de la foule : il s'y soustrait ; et il nous donne un bel exemple du parfait détachement de toute gloire humaine.
Cependant le miraculé va au temple dire à Dieu sa reconnaissance.
14. Et c'est là que Jésus le rencontre et lui dit : « Te voilà guéri : ne pèche plus de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire. »
Le péché est le plus grand de tous les maux : c'est le mal de Dieu ; et c'est, par excellence, le mal de l'homme. Les autres maux : souffrances, deuils, maladies, mort, ne sont rien à côté du péché et d'ailleurs, sans lui, ils ne se seraient jamais abattus sur l'homme.
Le péché demeure le grand mal, et la source de tout mal. Dieu punit, le pécheur impénitent par des châtiments éternels ; il punit par le purgatoire les fautes légères ou déjà pardonnées, mais dont toute la dette n'a pas été soldée sur la terre ; il punit aussi dès ici-bas le péché par des châtiments temporels, des maladies, des malheurs. C'est ce que Jésus fait entendre au paralytique guéri. Mais sur terre le châtiment ne suit pas toujours immédiatement la faute. Par ailleurs, il y a des malheureux dont les maux ne sont pas causés par leurs propres péchés ; l'Écriture en offre de frappants exemples, dans Tobie et dans Job ; et c'est ce que Notre Seigneur fera remarquer à ses apôtres (Saint Jean, IX, 1-2) qui demandent s'il fallait attribuer la cécité d'un malheureux à ses péchés ou à ceux de ses parents. Il leur répond : « Ni lui ni ses parents n'ont péchée mais ce malheur est arrivé pour que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui. »
Il serait donc téméraire de supposer à propos de tout malheur que le péché l'a précédé. Mais il reste que Dieu frappe parfois le péché de peines temporelles et que, d'une façon générale, le péché est la source de toutes nos douleurs. Les innocents eux-mêmes ne seraient point pris comme victimes expiatoires, sans le péché.
Le péché est donc la source empoisonnée de tous les maux et le destructeur de tous les biens. Il détruit l'amitié de Dieu, la vie divine en nous, la paix de l'âme, et déchaîne les maladies et la mort ; corrompt les sociétés elles-mêmes, et amène les révolutions et leurs bouleversements. Une société dont les péchés insultent ouvertement le ciel amasse sur sa tête des orages qui éclatent à un moment ou à un autre. L'histoire en fournit assez d'exemples, et il serait intéressant de l'étudier à cette lumière. On y constaterait la réalisation de cette loi providentielle qu'on a formulée par ces mots assez vagues : « La justice immanente des chocs ».
D'ailleurs c'est par bonté que Dieu frappe l'individu ou la société, pour ne pas les laisser progresser dans le péché, et leur fournir une occasion d'expier, de réparer, et de refaire une atmosphère purifiée où puissent descendre les bénédictions divines. C'est par bonté aussi qu'il accepte des victimes afin de pouvoir remettre plus vite leurs dettes aux coupables.
Ainsi donc quand on veut guérir une société malade, il ne suffit pas de faire appel aux philosophes, aux politiciens, aux sociologues. Le premier remède c'est de réparer et d'éloigner le péché, Si le péché attire les fléaux, sa réparation les prévient, son éloignement les éloigne.
Notre-Seigneur dit à celui qu'il a guéri de ne plus pécher, de peur d'un châtiment plus grave. Quel serait ce châtiment ? Un mal plus crucifiant que la paralysie, ou une condamnation plus redoutable dans le monde futur ? Je ne sais. Tous les biens et tous les maux, temporels et éternels, sont dans la main de Dieu ; il distribue les biens selon sa miséricorde infinie, et c'est le péché qui fait tomber de sa main divine ses redoutables châtiments.
O Jésus, préservez-nous de tout péché, et nous serons à l'abri de tous les maux ; et s'il nous arrive de souffrir malgré notre innocence, nous serons heureux encore, car nous souffrirons dans votre grâce, votre amour et votre paix ; et nous vous ressemblerons, ô victime divine du Calvaire.
Le miraculé sut donc que c'était Jésus qui l'avait guéri ; et il n'eut pas de peine à reconnaître en lui un prophète, car Jésus venait de lui faire comprendre que les péchés de sa jeunesse avaient été cause de son infirmité.
15. Cet homme s'en alla donc et annonça aux Juifs que c'était Jésus qui l’avait guéri.
Il leur porte la réponse qu'il n'avait d'abord pu leur donner : quoi de plus naturel, et c'est la docilité à la hiérarchie religieuse qui l'achemine vers les Juifs, et la joie aussi, car il est heureux de parler de sa guérison et de celui qui l'a guéri ; et il ne prévoit pas, ce bon coeur, que ces paroles vont entrer dans la malice des Juifs, comme un tisonnier dans la braise.
En effet,
16. C'est pour ce motif que les Juifs persécutaient Jésus, parce qu'il faisait ces choses le, jour du sabbat.
Ce n'est donc pas la première fois, qu'ils s'attaquent à lui ; et la guerre est déjà déclarée. Sont-ils pris dans un préjugé qui obscurcit leur esprit ? Jésus va les éclairer, et la lumière sera telle que leurs mauvaises dispositions ne trouveront plus rien où s'abriter.
§ 2. Jésus répond aux attaques des Juifs, et fait entendre qu'il est Fils de Dieu.
17. Il leur répondit donc : « Mon Père agit toujours, et moi aussi j'agis. »
Dès le premier mot il monte aux plus vertigineuses hauteurs de la divinité, et sa réponse est comme un oracle. En disant « Mon. Père » il désigne Dieu, et les Juifs ne s'y trompent pas ; et dès lors ils n'avaient qu'à se taire, adorer, et chercher à comprendre, ou bien constater qu'ils avaient de bonnes preuves que Jésus cherchait à leur en imposer et qu'il était un imposteur ; mais ils n'ont pas droit de s'exposer témérairement à être les accusateurs de Dieu, à le traduire à la barre de leurs pensées ou de leurs tribunaux. Or Jésus qui s'affirme Fils de Dieu a donné, dans ses miracles, des preuves de son assertion ; et il ne refuse pas aux Juifs une explication.
Fils du Père qui est Dieu, je dois agir comme mon Père. Or mon Père agit toujours, sans se reposer jamais : c'est une nécessité de ma filiation divine que je l'imite. Vous autres hommes, tantôt vous agissez et tantôt vous êtes en repos ; au jour destiné au travail succède la nuit, où l'homme s'endort et répare ses forces ; aux six jours ouvriers de la semaine succède le sabbat, où l'homme doit s'abstenir d'oeuvres serviles et se livrer à la prière, au culte et à la louange de Jéhovah, afin de ne pas laisser son esprit se submerger dans les travaux matériels et les affaires temporelles, au point d'oublier son Créateur et le salut de son âme. Mais Dieu ne ressemble pas à l'homme. L’action ne le fatigue pas, car elle appartient à son essence. S'il n'était toujours, à tout moulent et éternellement en acte, il n'existerait pas ; c'est pourquoi, en lui, il n'y a aucune succession d'activité et de repos, de nuit et de jour, de semaine et de sabbat. Si le septième jour il n'a pas voulu que de nouveaux mondes fussent lancés dans l'espace et s'épanouissent comme des fleurs de sa puissance, c'est librement qu'il l'a fait ; car de même qu'il est éternellement actif, de même il est éternellement libre ; mais s'il limite librement ici et là et en dehors de lui les effets de sa puissance, sa puissance en elle-même est toujours épanouie et jamais ne sommeille comme dans une nuit, car en Dieu il n'y a pas de nuit ni de ténèbres, mais il est tout Lumière.
Son inextinguible et infinie activité ne fait aucun tort à son repos, car elle ne connaît aucune résistance, aucun effort ; et sa force toujours parfaite et absolue ne s'amoindrit jamais et n'a jamais besoin de se restaurer. L'effort, la peine, la diminution d'énergie sont l'apanage de l'être borné ; ils ne peuvent se rencontrer en Dieu. Le Père est toujours en activité infinie d'intelligence, par laquelle il produit le Fils ; le Père et le Fils sont toujours en activité infinie d'amour par lequel ils produisent l'Esprit Saint. Et le Père, le Fils et l’Esprit sont de concert en infinie activité d'intelligence et d'amour ; et vont et librement, quand ils veulent et comme ils veulent, leur activité produit les créatures sur lesquelles leur Providence s'exerce inlassablement et sans ne se relâcher jamais ; car, sans leur activité toujours opérante, elles retomberaient dans le néant, pareilles à des rayons qui s'évanouissent quand leur soleil se caché.
Le sabbat n'est donc point fait pour Dieu et pour son Fils ; mais, ils l'ont justement établi pour les hommes. Le Fils de Dieu est donc le maître du sabbat, comme il est le maître du Temple (II, 17). Il peut donc aussi donner à l'homme dispense de la loi du sabbat, et il est juste juge de cette dispense.
La réponse de Notre-Seigneur aux Juifs est calme, courageuse et précise. Les Juifs n'auront qu'un recours, et il sera désespéré, c'est de nier, tête baissée, et contre le miracle, l'assertion de Notre-Seigneur, afin de n'en pas admettre les conséquences.
18. C'est pourquoi les Juifs cherchaient encore avec plus d'ardeur à le faire mourir, parce que, non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu.
Les Juifs cherchaient donc déjà auparavant à le faire mourir. Or ce n'est pas la gloire de Dieu qui les pousse, mais leur propre gloire : ils sont jaloux. Pourquoi ? Parce que Jésus, par son influence grandissante, va les supplanter. Le peuple commence à se détacher de leur enseignement pour s'attacher à celui de Jésus ; et eux-mêmes, si un Dieu Incarné passe parmi les hommes et les instruit, il faudra qu'ils descendent de leurs chaires d'enseignement pour se faire ses humbles disciples, au moins jusqu'à ce que, pénétrés de sa doctrine et de sa lumière ; ils puissent redevenir docteurs et maîtres à leur tour. Ainsi fera saint Paul plus tard ; mais saint Paul commencera par s'humilier en disant : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Eux ne veulent pas s'humilier, et un instinct infernal leur dit qu'ils ne triompheront jamais des arguments et de la lumière de Jésus-Christ qu'en le mettant à mort. Leur haine les aveugle à ce point, et ne leur laisse pas voir que la Vérité ne peut pas être totalement supprimée ici-bas, et qu'elle renaît inlassablement comme une forêt abattue qui rebourgeonne. D'ailleurs Dieu veille sur elle.
Cependant comme les pervers font profession de n'agir qu'au nom de la vérité et de la vertu, les Juifs vont s'ingénier à prouver que Jésus est un prévaricateur et mérite la mort. Certes Jésus les réfute divinement ; mais cela ne fait que consommer leur aveuglement et leur haine. Quand le feu commence à s'allumer, l'eau peut l'éteindre ; mais parfois dans un vaste et furieux embrasement, l'eau décomposée par lui s'enflamme elle-même. Ainsi les paroles de Jésus, divinement aimantes et lumineuses, sont tournées en ténèbres et en haine dans le coeur de ces Juifs, et en attisent la flamme.
Devant ces flammes de haine, ténébreuses et agitées, Jésus reste calme et beau :
19. « En vérité, en vérité, leur dit-il, le Fils de l'homme ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père ; et tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement. »
Jésus parle avec serment : il engage la vérité divine ; car le point en litige est capital, et il doit l'exacte vérité non seulement à Dieu, mais aux Juifs, et par-delà les Juifs à tous les hommes ; car nul homme n'aura droit de rester indifférent à cette affirmation ; Jésus-Christ est Dieu ; il faudra de toute nécessité qu'il se décide pour ou contre : l'indifférence sera la plus illogique des positions.
Aussi Jésus-Christ ne laisse pas flotter le doute sur ce point. Les Juifs ont compris qu'il se dit Fils de Dieu, égal à Dieu ; Jésus-Christ les confirme dans cette, idée, alors qu'en cas de méprise, la charité et la loyauté la plus élémentaire lui faisaient un devoir de les détromper. Il se dit donc Fils du Père qui est Dieu, et par suite Dieu lui-même ; et il explique quelles relations d'activité, et par suite de nature, l'unissent à son Père. Il dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père. » Nous savons bien que les enfants ont coutume d'imiter leur père, et souvent d'en exercer la profession ; néanmoins nul fils des hommes ne dira : « Je ne puis rien faire de moi-même, mais seulement ce que je vois faire à mon père » ; un fils des hommes peut toujours faire autre chose, ou faire moins bien ou faire mieux ; mais le Fils de l'homme ne peut rien faire de lui-même qu'il ne voie faire à son Père. Donc il fait tout de concert avec lui ; jamais son activité ne déborde celle du Père, ni ne reste en retard, mais elle est comprise dans la même sphère. Cette concordance de l'activité du Fils ne marque ni la sujétion d'un inférieur ni une impuissance restreinte à des limites ; car le Fils peut faire tout ce que fait son Père et au même titre ; il est donc comme le Père tout-puissant et créateur. Et si le Père a créé le ciel et la terre, le Fils les a créés pareillement, non comme un comparse inutile, mais avec cette toute-puissance qui lui est commune avec le Père, et par où il fait véritablement tout ce qu'il voit faire au Père.
Ce seul verset nous fait entrer à pleines voiles dans la théologie, catholique qui nous dit qu'il n'y a qu'une nature divine en qui résident tous les attributs divins, que cette nature est commune au Père et au Fils, qu'ils sont donc Dieu au même titre, infiniment unis par l'unité de nature, d'intelligence et de volonté, et qu'ils ne diffèrent que par cette propriété strictement personnelle qui fait que le Père engendre et que le Fils est engendré, que le Père ne sort d'aucune origine et que le Fils vient du Père par voie de génération, que cette génération est le terme de l'acte d'intelligence du Père, et que c'est pour cela que le Fils s'appelle aussi le Verbe. Et c'est ce Verbe qui s'est fait chair et qui, en quelques mots rapides jetés comme au hasard, révèle aux Juifs les secrets les plus sublimes de la vie divine, en leur déclinant les titres qui le font vraiment Fils du Père et son envoyé ici-bas.
20. « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait, et il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, de sorte que vous serez dans l'admiration. »
Sur la terre, les pères, parce qu'ils aiment leurs fils, cherchent à leur communiquer tous les biens qu'ils peuvent : richesses, vertu, science et tout ce par où ils peuvent embellir leur héritage. Le Père Éternel agit comme les pères de la terre, ou plutôt c'est sur le modèle de son éternelle paternité qu'il a créé les pères de la terre. Voilà pourquoi, en regardant ce que nous avons sous les yeux, nous pouvons connaître quelque chose de la paternité divine.
Le Père Éternel aime son Fils éternel comme lui, et lui communique son héritage qui est sa nature, sa science, sa puissance. Mais il est nécessaire que le mode de communication ne soit pas le même, et qu'il soit plus beau et plus parfait en Dieu.
Les pères de la terre sont pères dans le temps, et c'est dans le temps et à leur mort qu'ils abandonnent leur héritage à leurs fils ; et c'est peu à peu qu'ils leur communiquent science et vertu. Mais en Dieu qui est éternel et qui a un Fils parfait, tout est éternel et parfait dès l'abord.
Le Père, engendrant le Fils par voie d'intelligence, le met de toute éternité en possession de cette intelligence ; il ne peut donc rien faire qu'il ne découvre au Fils de toute éternité. Cela s'applique à tout, aux opérations intérieures dont le terme est divin, et aux opérations extérieures qui se terminent aux êtres des diverses créations, spirituelle et matérielle. Et c'est ainsi que nous avons vu, au chapitre premier, que le Père n'a rien fait sans le Verbe. Cela s'applique à tous les détails, et nommément aux oeuvres merveilleuses de la vie de Notre-Seigneur, à ses beaux et grands miracles qui forment comme une chaîne continue. Celui qui vient d'avoir lieu sera suivi de bien d'autres plus grands et plus étonnants. Les Juifs en seront émerveillés ; mais ils ne se convertiront pas ; car les miracles seuls ne convertissent pas.
Ils pourraient se convertir pourtant. S'ils voulaient être sincères, ils comprendraient que celui à qui Dieu donne d'agir avec sa puissance, il lui donne aussi d'agir avec son esprit de sainteté, et que par conséquent l'acte de Notre-Seigneur n'est pas une infraction criminelle au sabbat.
Le mystère d'iniquité qui fermente et grandit dans certaines âmes, les envahit et les possède, est effrayant pour qui le regarde avec les yeux de la foi. C'est comme une maladie mortelle qui n'offre plus d'espoir et qu'on ne peut étudier qu'avec une tristesse profonde. Pourquoi cette perversité est-elle incurable ? Parce qu'elle ne veut pas être guérie. Et pourquoi ne veut-elle pas être guérie ? Parce que l'orgueil ne veut pas être détruit en s'humiliant. Le démon non plus ne veut pas se repentir ; s'il se repentait, Dieu ne le laisserait pas dans ses éternels supplices. Or il est des hommes dont l'endurcissement semble diabolique : c'est pourquoi Notre-Seigneur dit aux Juifs : « Vous mourrez dans votre péché, in vestra peccato moriemini. »
Cette iniquité n'aime pas Dieu, elle s'aime elle-même, et repousse avec fureur ce qui blesse son amour-propre : l'humiliation tombe sur elle comme une barre de fer dans un brasier où elle soulève une nuée d'étincelles et attise la flamme.
L'humilité la guérirait ; elle ne veut pas s'humilier : qui la guérira ?
21 « Comme le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils donne
la vie à qui il veut. »
Et voilà une des oeuvres excellentes et supérieures que le Père donne au Fils d'accomplir. Guérir instantanément quelqu'un, malade depuis trente-huit ans, est un miracle indiscutable de la puissance divine, mais, ressusciter et donner la vie à qui ne l'a plus est un miracle plus grand et très semblable à l'acte créateur. Or ce pouvoir qui est propre au Père, est aussi propre au Fils ; car le Fils non seulement est vivant, mais il est la Vie, et le propre de la Vie c'est de vivifier ; et comme le Père a créé qui il a voulu et vivifie qui il veut, ainsi le Fils ressuscite et vivifie qui il veut. Vivifier des cadavres est un miracle ; vivifier des âmes est une merveille plus grande ; et c'est surtout pour cette œuvre que le Père a envoyé son Fils sur la terre. Par suite du péché, la terre est un vaste ossuaire spirituel ; le Fils, mieux que le prophète Ezéchiel dans sa grandiose vision, commande, et les ossements frémissent, et la mort désemparée commence sa fuite, et la vie revient, et les âmes ressuscitées par le Fils seront innombrables ; et ce sera le trophée de sa victoire.
Le Fils peut aussi ressusciter les corps : il ressuscitera le fils de la veuve de Naïm et Lazare et d'autres encore ; mais ces résurrections ne sont que le symbole visible des résurrections des âmes, oeuvre propre du Fils Incarné, et raison de sa venue en ce monde. Il a la vertu de ressusciter toutes les âmes ; cependant il ne les ressuscite pas toutes ; et il y a comme un choix qui se fait, une élection qui s'opère. Cette élection est basée sur la miséricorde qui dit : Cujus misereor, miserebor, celui dont j'ai pitié, j'en aurai pitié ; et elle est basée sur l'obstination de ceux qui repoussent les avances de la miséricorde. Mais les ressuscités le seront parce que Dieu l'a voulu. Dieu veut toujours le premier ; l'homme ne fait que joindre son vouloir à celui de Dieu ; et d'ailleurs le vouloir de l'homme serait de nul effet, sans le vouloir divin. — De ceux qui ne sont pas ressuscités spirituellement, à cause de leur mauvais vouloir, qu'adviendra-t-il ? Le voici :
22. « Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils. »
Le jugement suprême parti des hauteurs divines vient à titre égal du Père et du Fils, mais l'intimation extérieure, directe, et immédiate se fait par le Fils Incarné que le Père délègue à cet office. Mais n'a-t-il pas été dit plus haut que le Père a envoyé son Fils pour sauver et non pour juger ? Il est vrai, et cette première mission du Fils demeure. S'il ne s'était agi que de juger et de condamner, jamais le Fils ne se fût incarné : la raison de l'Incarnation est le salut et non le jugement ; c'est ce que chante l'Église : propter nos homines et propter nostram sautent descendit de coelis. Et si les hommes répondaient à ce premier et immense bienfait de Dieu, il n'y aurait pas de jugement exercé par le Fils ; le salut serait universel ; nul ne serait condamné. Mais puisque ce qui devait sauver ne sauve pas, et que le principe de salut devient pour plusieurs occasions de malice plus grande et de révolte contre Dieu, il faut bien que le jugement s'exerce où la miséricorde n'a pu s'exercer. Et à qui convient-il que le jugement soit remis ? Au Fils Incarné : pourquoi ?
23. « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père, car celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé » ; et pourtant tous deux méritent un honneur égal. Mais puisque, par le refus de croire au Fils et d'accepter de sa main la miséricorde, c'est lui qui est visiblement outragé, c'est à lui qu'il convient que le jugement visible soit remis. Voilà pourquoi plus tard il dira aux Juifs qu'ils le verront un jour venir parmi les nuées pour les juger. Et il ne leur servira de rien, non plus qu'aux incrédules de tous les temps, de chercher à dissocier la cause et l'honneur du Père de la cause du Fils. Certes les Juifs ont toujours prétendu honorer le Père, mais ils ont rejeté le Fils : cela ne se peut pas. Le Père et le Fils sont invinciblement unis par la force de l'essence divine. C'est parce qu'il procède du Père que le Fils est envoyé sur la terre comme son ambassadeur : qui outrage le Fils, outrage le Père, et qui outrage l'ambassadeur outrage le prince qui l'envoie. Et les Juifs ont beau dénier à Jésus son titre de Fils et d'ambassadeur, leur dénégation est vaine, car Jésus présente ses lettres de créance dûment signées, et nul ne peut les récuser. La signature du Père, c'est le miracle : Jésus vient d'en faire un éclatant, et non pas à la manière des prophètes de l'Ancien Testament qui par exemple ressuscitaient des morts, comme purs instruments de Dieu, mais qui jamais ne se sont présentés comme ayant en eux-mêmes la vie indéfectible dont ils pouvaient verser le flot sur des cadavres pour les animer. Jésus affirme qu'il a en lui cette vie indéfectible comme le Père lui-même ; et après avoir parlé comme un Dieu, il agit comme un Dieu. De même c'est en son propre nom qu'il pardonnera les péchés, ce qu'aucun prophète ne lit ; et comme on se scandalisait, pour dissiper le scandale ainsi que le vent dissipe et emporte les feuilles mortes, il dira, en s'adressant aux Juifs et au paralytique : « Pour que vous sachiez que le Fils de l'Homme a le pouvoir de remettre les péchés : lève-toi et marche. »
Il faudra donc, si on Se raidit contre la miséricorde, et si on outrage le Fils, en rejetant ses titres et ses dons, qu'on rende ensuite à ce divin outragé un légitime honneur et une juste réparation, en retombant sous sa puissance inaliénable de juger et de condamner.
Il reste pourtant que la raison directe de sa mission ici-bas, c'est non le jugement et la mort, mais la miséricorde et la vie.
§ 3. La foi en Jésus introduit dans la vie éternelle.
24 « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma voix et croit àcelui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et n'encourt point la condamnation ; mais il est passé de la vie à la mort. »
Malheur infini à celui qui n'écoute pas le Fils ; mais infiniment heureux celui qui l'écoute avec docilité et bonne volonté, qui fait taire ou enchaîne toute poussée d'orgueil et toute sensualité, pour marcher à la lumière de sa parole, et la pratiquer. Dans le coeur de celui-là, la parole de Jésus-Christ germe et produit un fruit. Quel est ce fruit ? La vie. — Jésus-Christ l'atteste avec serment.
Mais de quelle vie s'agit-il ? De la vie véritable dont le propre est de ne mourir jamais, et d'être de soi éternelle ? Nul charme n'est comparable au charme de la vie, et qui dira le charme et le parfum de la vie éternelle ?
Celui en qui la parole de Jésus pousse fleur et fruit n'est point jugé, car il devient rameau vivant de l'arbre de vie qui est Jésus-Christ, et par là il est incorporé au juge. Aussi nous ne devons pas être étonnés que Jésus dise à ses apôtres : « Vous serez assis sur douze trônes et vous jugerez avec moi les douze tribus d'Israël », et que saint Paul dise aux premiers chrétiens (I Cor., vi, 1) : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? et Si c'est par vous que le monde doit être jugé, êtes-vous indignes de rendre des jugements de moindre importance ? » Donc celui qui croit en Jésus-Christ, loin d'être jugé, sera juge du monde avec Jésus-Christ. Il en sera ainsi, à la fin des siècles, au jour des grandes assises.
Et même ici-bas, saint Paul nous dit que l'homme spirituel incorporé à Jésus-Christ, juge suprême, juge tout et n'est jugé par personne. Il a en lui la vie divine et les pensées de Dieu, et de ces hauteurs, et dans la lumière d'en-haut, il domine toutes les vaines pensées des hommes à juger toutes choses ; et son jugement ne peut être réformé par aucune sagesse purement humaine.
Le premier signe de l'homme spirituel, c'est la docilité à la parole de Jésus-Christ, et à l'enseignement de l'Église, épouse de Jésus-Christ.
Celui qui croit en Jésus-Christ, qui est docile à sa parole et à son esprit, discerne le bien véritable, il juge, il condamne, et son jugement est au-dessus de tous les jugements de l'esprit du monde ; et tandis que les mondains vont à la mort, lui est passé à la vie : transiit ; et il ne tient qu'à lui que cette vie soit éternelle. La mort du corps peut survenir : c'est comme une enveloppe qui tombe, mais la fleur enfermée et parfumée de la vie qui a pris racine dans l'âme et s'y épanouit, garde son éternelle fraîcheur et s'en va délier dans l'atmosphère du ciel ses pétales immortels. Quand donc se feront ces résurrections, ces passages de la mort à la vie dont parle le Fils de l'homme ? Écoutons.
25. « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. »
Ce passage de la vie à la mort va se faire ; ou plutôt il se fait dès l'instant même où le Fils de Dieu parle, puisqu'il suffit de l'entendre, de croire et d'aimer pour vivre. Or, si sa parole s'est heurtée à des cœurs endurcis où elle n'a pu germer, d'autres ont été dociles, l'ont reçue dans l'intime de leurs pensées et de leurs affections, où elle a pris racine, et pour eux l'heure de la vie est déjà venue ; mais ce n'est qu'un prélude : voici que le vaste champ des morts va frémir par le monde, à la parole de Jésus-Christ, des apôtres et des prêtres, qui ont mission de porter aux oreilles de tous les hommes l'écho de la parole divine. Quel spectacle pour je ciel qui est témoin ! Quel spectacle même pour celui qui voit, à la lumière de la foi ces innombrables passages de la mort à la vie : et de quelle mort et à quelle vie ! — Ainsi en est-il des missions où les foules accourent et se convertissent ; ainsi aux approches de Pâques, où la masse des chrétiens va fortifier sa vie céleste ou la reprendre, en déposant la mort.
Mais que d'âmes encore gisent dans la mort ! Mon Dieu, multipliez votre voix par la bouche de vos prêtres et de vos missionnaires, et que toute la terre se couvre d'âmes ressuscitées à la vie véritable. Car vous pouvez tout vivifier, ô Jésus ! En effet
26. « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir lavie en lui-même. »
Ah ! je comprends que vous puissiez ressusciter à l'infini, puisque la vie est en vous, en source infinie. Le Père ne la tient de personne ; et vous, vous la tenez du Père, totale, non mesurée, dans toute son étendue illimitée, dans toute sa pureté, sans alliage d'aucun élément sujet à la décadence et à la mort. Notre vie divine à nous est mesurée, et quoique immortelle par son fond propre, elle peut périr par la défectibilité de notre pauvre nature, où elle vient s'enraciner. Mais vous, vous n'avez pas une participation de la vie, vous êtes la Vie, la plénitude infinie de la vie et cette vie qui est vous-même plonge sa racine immarcescible dans le sein du Père Éternel. Nous n'avons qu'un flot de vie, et vous avez la source d'où peuvent s'échapper des flots sans nombre. Notre vie n'est qu'une vie dérivée qui tarira si elle cesse d'être en communication avec la source ; or, le péché véniel rend cette communication lente et difficultueuse ; le péché mortel en coupe tous les canaux. O source divine et indéfectible, éloignez de nous tout péché ; tenez-nous invinciblement unis à vous, coulez en nous à flots abondants et intarissables ; coulez en nous par votre parole et par vos sacrements ; que votre miséricorde vous incline vers tous ces cadavres d'âmes qui jonchent notre monde. Passez, passez, divin Samaritain, et dans chacune des âmes mortes ou blessées, faites une dérivation de la vie, puisque vous êtes la Vie qui peut se communiquer toujours sans s'appauvrir jamais.
Et comment pourriez-vous nous refuser la vie, puisque vous ne vous êtes incarné que pour nous la communiquer ?
§ 4. Jésus, constitué par son Père juge de tous les hommes.
Il est vrai que ceux qui auront refusé de recevoir de vous la vie, s'exposent à votre jugement, car il est écrit :
27. « Le Père a aussi donné au Fils le pouvoir de juger parce qu'il est Filsde l'homme. »
Ce pouvoir de juger dérive d'abord de votre infinie sainteté qui a prescrit à l'homme la loi sainte où il doit marcher ; si votre Père vous le confie encore au titre spécial de Fils de l'homme, c'est qu'il est convenable qu'un homme soit député par Dieu au jugement des hommes, et que votre humanité soit honorée par ce pouvoir de juger, elle qui a été l'objet des outrages des hommes incrédules et rebelles ; mais considérez que ce pouvoir de juge qui vous revient à double titre, vous entendiez le laisser dans l'ombre ; vous n'auriez jamais songé à l'exercer, si la malice des hommes ne vous y avait provoqué ; tandis que vous exercez spontanément votre bonté et votre miséricorde, d'autant que tout le contenu de votre mandat, dans la mission que votre Père vous a confiée auprès des hommes, c'est « Bonté et Miséricorde ». Faites donc ruisseler sur nous bonté et miséricorde, et submergez en elles toute malice qui vous contraindrait au jugement ; et nous, les sauvés, plus nous serons nombreux et miséricordieusement sauvés, et plus nous vous serons une couronne glorieuse au jour des grandes assises. Car elles viendront ces grandes assises que vous avez annoncées aux Juifs en disant, :
28. « Ne vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu. »
Dans les versets précédents, il a été question de la résurrection spirituelle des âmes qui s'éveillent à la voix de Jésus-Christ, et qui sont l'objet d'un choix distinct et personnel : quos vult vivificat. Tous sont appelés mais tous ne sont pas choisis et élus, car tous ne répondent pas à l'appel ; il y en a qui restent dans la mort et refusent la vie. Ce choix se fait en ce monde et dès le temps présent, et nunc est, et dès le moment où Jésus parle. Certes il y a de quoi étonner les Juifs ; mais qu'ils ne s'étonnent pas trop, — nolite mirari, — car voici une merveille plus grande, qui du moins frappera plus fort les sens et l'imagination. L'heure approche, — elle n'est pas encore venue, — mais le temps qui vole la rapproche sans cesse cette heure formidable, où, sans exception, tous les hommes qui dorment dans les tombeaux le sommeil de la mort, entendront la voix du. Fils de Dieu. A cette voix toute-puissante, tous, quelles qu'aient été jadis les dispositions de leurs cœurs, se lèveront du sein de la poussière où ils avaient été réduits ; et cette poussière se reformera en corps vivants. Toute poussière humaine ressuscitera, mais toute ne sera pas transformée en corps spirituel et glorieux. Et tous les hommes seront là, debout, étonnés de se voir eux-mêmes et les autres plus nombreux que les flots de la mer, frémissant encore et tremblant de la force de l'appel qui les a tirés de leur poussière.
Voilà certes un juste sujet d'étonnement.
Si aujourd'hui les Juifs se dérobent à l'étonnement par l'incrédulité, cette incrédulité n'aura qu'un temps, car le temps marche et l'heure vient où, malgré eux, l'étonnement les pénétrera jusqu'à la moelle ; car alors ils verront qu'ils sont passés de l'empire de la bonté à celui de la justice. Ce jour, cette heure arrivent.
29. « Et tous sortiront de leurs tombeaux, ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de condamnation. »
Tous ressusciteront partagés en deux groupes distincts, et combien différents d'aspect et de destinée. A droite, les élus à la gloire, lumineux et ravissants ; à gauche, ceux qui sont voués à l'éternelle damnation, hideux et effrayants. Mais remarquons ces mots de Notre-Seigneur « résurrection de vie, résurrection de condamnation ». Les premiers ressuscitent pour entrer dans la vie, et la vie entre en eux, tel celui qui sortant d'un tombeau entrerait dans l'air lumineux, et que la lumière pénètrerait comme un cristal. Et c'est à une vie supérieure, spirituelle, céleste, que le corps ressuscite et non à sa vie première, matérielle, grossière, sujette à la faim et à la soif, à la maladie et à la mort ; il fait son entrée dans la vie éternelle, pleine de bonheur et de gloire. Devenu subtil comme l'esprit, il pourra désormais se mouvoir plus rapide que l'éclair, aussi rapide que la pensée, et sans que nul obstacle l'arrête ou le retarde. Impassible, il habitera pour toujours la région où ne montent ni les larmes, ni les cris, ni les deuils, ni la mort. Il sera lumineux des reflets de l'âme, illuminée elle-même de la lumière de Dieu. De tout cela, nous n'avons nulle idée juste, car sur terre il n'existe rien de semblable. Seuls les saints qui ont eu des apparitions extatiques, en savent quelque chose, mais quelque chose seulement. Le corps sera alors le digne compagnon de l'âme, et l'âme entrera dans la vie véritable qui est la vie même de Dieu ; elle s'y plongera comme dans un océan et sera semblable à Jésus-Christ.
Et les damnés sortiront du tombeau pour une résurrection de condamnation, c'est-à-dire pour être jugés, condamnés, dégradés, suppliciés. Si le corps des élus est divinement embelli, celui des damnés sera la proie d'une laideur indicible. Il recevra l'empreinte d'une âme devenue un effroyable chaos de malédiction, de haine et de mort. En effet, être maudit de Dieu, figé dans la haine, savourer, la mort éternelle, c'est le lot qui attend le damné au jour de la résurrection.
Éternellement, il vivra la mort et ses affres, — car sa vie physique, toute ravagée jusque dans ses profondeurs par la malédiction et la haine, demeure capable de vivre la mort véritable et éternelle. — Quelle est cette mort ? C'est la mort à la grâce et à la vie divine, vie supérieure à toute autre, seule véritable, et devenue nécessaire à l'homme depuis que Dieu lui en a fait le don gratuit, et sans laquelle l'âme humaine n'est plus qu'un cadavre en proie à la souffrance, à la haine et à la mort. A cette mort s'ajouteront les supplices éternels du feu et du ver rongeur qui ne meurt pas.
Oh ! que cette résurrection finale sera solennelle. Elle complétera la résurrection spirituelle des âmes que Jésus fait ici-bas ; elle démasquera ses ennoblis qui ont hypocritement refusé de se laisser ressusciter dans leur âme, et les marquera de stigmates éternels.
Ce dernier jour fera, sur tout le peuple des âmes, l'effet d'un printemps. Quand le printemps tient, la vie monte de toutes parts, triomphante. Cependant il y a des plantes et des arbres qui restent immobiles : ils étaient morts ; on s'en aperçoit alors. C'est l'image des damnés, mêlés ou confondus sur la terre avec les justes. Le dernier jour, comme un printemps, les démêlera, faisant éclater la vie divine dans les uns, immobilisant les autres dans leur mort, pour toujours. Jésus, soleil de la cité sainte, présidera à ce printemps soudain et rapide, aube du jour éternel pour les élus, crépuscule de l'éternelle nuit pour les damnés.
Comme il sera vengé des outrages de la terre et des opprobres de sa Passion ! Comme il triomphera ! Lui, le jugé et le grand condamné de la terre, il jugera toute la terre et son jugement ne sera pas réformé.
O Jésus, qu'il sera doux alors de vous avoir aimé ici-bas ! Sainte Marguerite-Marie, l'apôtre de votre Cœur, disait : « Qu'il est doux de mourir après avoir aimé constamment le cœur de Celui qui doit nous juger. » Et qu'il sera doux ce dernier jour où le chœur de vos élus, réunis au complet, entonnera puissamment et jettera aux échos du ciel, de la terre et des enfers, le cantique de la grande reconnaissance et de l'éternel amour, et montera avec vous vers celui de qui vous tenez tout, et d'où nous vient tout don excellent, et dont vous dites :
30. « Je ne puis rien faire de moi-même. Selon que j'entends, je juge, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. »
Jésus-Christ ne peut rien faire de lui-même : en effet, comme Verbe, il ne fait qu'un avec le Père, et comme Verbe Incarné, il est en harmonie parfaite avec ce même Père du ciel.
Le Père et le Fils, distincts comme personnes, n'ont qu'une même nature et une même volonté ; ils ne peuvent donc ni agir l'un sans l'autre, ni être en désaccord ; et comme le Fils, parce qu'il est Fils, reçoit du Père sa nature, sa volonté et son intelligence, il reçoit, par là-même ses jugements. Par ailleurs, le Fils porte ces jugements avec la même autorité que le Père, puisqu'il lui est égal, et qu'il possède au même titre la nature, la volonté et l'intelligence divines.
Mais dans le Verbe Incarné, il y a aussi l'intelligence et la volonté humaines. Or le Verbe jugera les hommes, comme homme. Mais de son jugement humain le Verbe peut dire aussi : « comme j'entends, je juge, et mon jugement est juste. » Car, dans le Verbe, l'intelligence et la volonté humaines sont parfaitement éclairées et parfaitement droites ; elles sont éclairées et droites de la lumière et de la rectitude du Verbe, et sont des instruments parfaitement dociles de moindre et de sa sainteté divine. En elles, la moindre erreur rejaillirait sur la personne du Verbe qui est responsable de tous les actes de son humanité. Le moindre écart est donc impossible, et l'harmonie parfaite est nécessaire entre le jugement humain de l'homme-Dieu et son jugement divin.
Ainsi l'homme, que les Juifs ont devant eux, les jugera, et son jugement sera juste, car il jugera comme il entendra le Verbe et le Père du Verbe juger.
Le jugement du Verbe Incarné sera juste encore parce qu'il sera intègre et impartial. L'intégrité et l'impartialité existent quand le juge est éclairé et qu'il ne cherche absolument aucun intérêt humain et personnel ; or le Verbe Incarné n'en recherche aucun, car il ne recherche en rien sa volonté propre et ce qui peut la flatter; il recherche uniquement la volonté de celui, qui l'a envoyé, le Père ; or le Père est la source et l'idéal de toute justice.
Que peuvent répondre les Juifs ? que Jésus-Christ ne vient pas du Père ? qu'il n'est pas son envoyé ? Jésus-Christ va leur prouver qu'il l'est.
§ 5. Rendent témoignage à Jésus : Jean, ses propres oeuvres, son Père, Moïse et les Prophètes.
31. « Si c'est-moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai. »
Je veux qu'on m'applique le principe que nul n'est juge dans sa propre cause ; mais pour appuyer mes affirmations j'ai des témoins : j'ai la voix de Jean-Baptiste, j'ai la voix des miracles, j'ai la voix de Moïse et de toute l’Écriture.
32. « Oui, il y en a un autre qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu'il rend est vrai. »
Ce témoignage est celui du Père céleste. Constamment le Père céleste lui dit à la face des Anges : « Tu es mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances » ; et ce témoignage est vrai, car le Père est Vérité, et il a fait entendre un écho de ce témoignage lors du baptême de son Fils. C'est ce que Jean-Baptiste a attesté lui-même :
33. « Vous avez envoyé une députation à Jean : il a rendu témoignage à la Vérité. »
Sa vie était si sainte que vous étiez prêts à reconnaître en lui le Messie ; mais il a déclaré qu'il ne l'était pas et que j'étais l'envoyé du Père. Ce témoignage, vous pouviez le recevoir, puisque Jean était saint et qu'il ne parlait point en sa propre cause, mais plutôt contre lui-même, puisqu'il vous désabusait de l'idée qu'il pouvait être le Messie.
34. « Pour moi ce n'est pas d'un homme, que je reçois le témoignage ; maisje dis cela pour que vous soyez sauvés. »
Un homme qui n'est qu'un homme n'a pas de valeur pour me rendre témoignage : Toute la valeur du témoignage de Jean vient de ce qu'il est une émanation du témoignage du Père, et qu'il est rendu par un prophète inspiré ; car c'est pour me rendre témoignage que le Père l'a fait marcher devant ma face et préparer ma. Mais puisque, en envoyant une députation à Jean, vous avez cru son témoignage recevable, recevez-le et vous serez sauvés. Où pourriez-vous trouver un témoignage humain plus autorisé ?
35. « Jean était la lampe qui brille et qui luit, mais vous n'avez voulu que vous réjouir un moment à sa lumière. »
Lampe allumée par le Père, à la lumière vive et brillante, et qui vous marquait la route à suivre pour arriver à celui qui est la lumière elle-même, et le salut et la vie. Mais la route vous a déplu, parce qu'elle ne menait pas aux grandeurs humaines ; et ainsi après avoir tressailli un moment, auprès de cette belle lumière, comme des enfants qui s'amusent autour d'un feu, votre enthousiasme est tombé.
Jean vous prêchait l'humilité et la pénitence, et ce sont des richesses et des honneurs que vous attendez de votre Messie imaginaire. C'est là ce que vous aimez, et non la vie éternelle. C'est pourquoi vous n'avez pu supporter ses exhortations et ses reproches, et pourquoi vous l'avez haï après l'avoir tant admiré. Mais prenez garde, votre légèreté criminelle vous mène à la ruine, pendant que le témoignage de Jean demeure sur vous et vous condamne.
36. « Pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean, car les oeuvres que mon Père m'a donné d'accomplir, ces oeuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi, que c'est le Père qui m'a envoyé.
Vous ne pouvez récuser le témoignage de Jean, prophète véritable et reconnu comme tel par toute la Judée. Mais voici mon second témoin, il est plus haut et plus indiscutable, c'est la doctrine que le Père me donne de prêcher, ce sont les vertus qu'il me donne de pratiquer, ce sont surtout les miracles éclatants et multipliés qu'il me donne d'accomplir. Ces miracles, vous ne les niez pas, vous me les reprochez ; vous savez pourtant que le miracle est le sceau du Père ; et si Moïse est si grand à vos yeux, ce n'est pas seulement parce qu'il vous a donné la loi, c'est aussi parce qu'il a nourri vos pères avec la manne et opéré d'autres prodiges. Les prodiges de Moïse ont témoigné qu'il était l'envoyé de Dieu, de même, les miracles que je fais témoignent que le Père m'a envoyé.
Bien plus, 37. « Le Père qui m'a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. Mais vous n'avez jamais entendu sa voix ni vu sa lace. »
Sa voix cependant, vous auriez pu l'entendre, car je vous l'ai dit, elle a résonné sur moi au jour où Jean m'a baptisé ; et si vos cœurs étaient mieux disposés, vous pourriez l'entendre dès maintenant ; car celui qui m'entend avec un coeur docile, entend le Père qui m'a envoyé ; et vous pourriez voir la face de mon Père, car celui qui me voit avec un coeur fidèle voit le Père qui m'a envoyé.
Mais l'incrédulité vous bouche les oreilles et vous ferme les yeux ; et elle endurcit votre coeur, voilà pourquoi aussi,
38. « Vous n'avez pas la parole du Père demeurant en vous, parce que vous ne croyez pas à celui qui m'a envoyé. »
La parole du Fils est la parole du Père : si vos cœurs n'étaient pas durs et rebelles, cette parole prendrait dans vos âmes comme une semence, qui pousse des racines, lève et fructifie ; et alors la parole du Père demeurerait en vous, vivante et féconde ; mais vos cœurs sont comme un terrain durci ; la parole du Fils y tombe vainement ; le diable vient et, pareil à l'oiseau de proie, l'emporte. Je le sais,
39.« Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; or, ce sont elles qui rendent témoignage de moi. »
Certes vous faites bien d 'approfondir les Écritures et de les regarder comme un chemin qui mène à la vie, puisque Moïse vous a dit « Observez mes lois et mes prescriptions ; si vous le faites, vous vivrez » (Lv XVIII, 5). Mais pourquoi, disséquant le texte sacré avec un soin extrême, y découvrez-vous des sens étranges, que Dieu n'y a point mis, et n'arrivez-vous pas à y découvrir leur sens principal et clair qui est d'annoncer le Messie et de me rendre témoignage, directement, ou par des symboles et des figures multiples ? Vous allez à l'Écriture pour avoir la vie et
40. « Vous ne voulez pas venir à moi par qui vous auriez la vie » ; car les Écritures ne peuvent vous acheminer à la vie qu'en vous acheminant vers moi.
Et maintenant que dirai-je de votre triste erreur ? Ce n'est pas que les Écritures ne soient claires ; c'est que votre volonté n'est pas droite. Aveugles volontaires, vous ne voulez point voir. Dès lors, des sources de vie ont beau être dans l'Écriture, vous ne les trouverez point ; vous n'y trouverez plus qu'une citerne tarie, que vous avez vidée vous-mêmes par vos sophistiques interprétations, qui ne permettent plus de reconnaître le Messie véritable. Ce qui vous mène à votre perte, c'est que vous ne cherchez pas Dieu seul et le salut de vos âmes. Vous êtes esclaves de l'amour-propre, du respect humain, de l'opinion des hommes, des honneurs du monde. Pour moi
41. « Je ne demande pas ma gloire aux hommes. »
J'ai une gloire plus haute qui me vient du Père ; et si je désire que vous veniez à moi, c'est que, par moi seul, vous pouvez aller au Père, donner à Dieu le service et la gloire que vous lui devez, et procurer à vos âmes le salut et la vie ;
42. « Mais je vous connais ; je sais que vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu. »
Sans doute, c'est au nom de l'honneur de Dieu que vous vous élevez contre moi, et que vous prétendez que je viole le sabbat ; mais en vain vous cherchez à peindre votre zèle des couleurs de la vertu ; il est faux ; ce n'est qu'un masque et un mensonge qui réussit mal à voiler votre haine et vos convoitises. Le fond de vos cœurs est à découvert à mes yeux ; et si je vous démasque, c'est pour vous sauver, et pour que les humbles ne soient pas vos victimes.
Si vous voulez véritablement aimer Dieu, commencez par vous vider de vous-mêmes et de l'amour de votre propre excellence, afin de n'être pas le jouet de l'orgueil, et de marcher dans la vérité ; car c'est l'orgueil qui fait
43. « Qu'étant venu au nom de mon Père, vous ne me recevez pas ; mais qu’un autre vienne en son propre nom, vous le recevrez. »
Je me présente à vous avec des preuves certaines et irréfragables de ma mission divine, et vous ne me croyez pas ; nombre d'autres viendront et vous les suivrez, sans qu'ils puissent donner de preuves, que Dieu les envoie ; et vous entraînerez avec vous le peuple à sa perte. Vous qui deviez ouvrir à Israël les portes du salut, vous lui ouvrirez les portes de l'abîme, et vous y tomberez avec lui. Vous suivrez les faux messies, parce qu'ils flatteront vos passions ; et quand vous reconnaîtrez clairement dans une lumière implacable que les passions sont des guides aveugles, il sera trop tard..., il ne sera plus possible de fuir le châtiment. Si dès maintenant vous vouliez me croire, je vous mènerais à la vérité et à la vie. Mais
44. « Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ? »
Vous courez après la vanité, vous ne pouvez atteindre la vérité, vous captez la faveur et l'estime du monde, vous ne pouvez avoir l'amitié de Dieu et la gloire qu'il donne ; car on ne peut servir deux maîtres si dissemblables. Leurs goûts, leurs pensées et la lumière où ils vivent, différent comme le ciel et la terre. Or, vous tenez à rester des mondains vaniteux et orgueilleux. Toutefois
45. « Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai devant le Père ;votre accusateur c'est Moïse en qui vous avez mis votre espérance. »
Moïse a fait de vous un peuple à part, avec une loi supérieure à toute autre et dont vous êtes fiers, et que vous scrutez et que vous prétendez observer ; mais pour la comprendre dans son âme et l'observer véritablement, il faut l'esprit de Dieu, et vous êtes, travaillés d'orgueil ; c'est pourquoi Moïse qui fait votre espoir sera votre accusateur. Ses écrits témoigneront pour moi contre vous.
46-47. « Il a écrit de moi en effets ; et si vous croyiez véritablement Moïse, vous ma croiriez aussi. — Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? »
Vos passions ne vous laissent voir dans Moïse que ce qui les flatte ; c'est avec les mêmes dispositions que vous m'écoutez et que vous me; vous ne pouvez donc croire à ma parole. Aveugles volontaires, puisque c'est sur Moïse que vous faites fonds, c'est par lui que vous serez condamnés.
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