LES SAMEDIS DE LA VIERGE MARIE
LES GRÂCES DE MARIE

VINGT-CINQUIÈME SAMEDI

Trois tentations contraires à l’espérance.

Plan de la méditation. — L’affermissement de notre espérance eut un résultat si important pour toute notre vie, qu’il nous paraît à propos de considérer de plus près trois genres de difficultés particulières qui, trop souvent, arrêtent l’homme dans la voie royale de l’espérance chrétienne. Chacune d’elles mériterait même d’être prise à part. Voilà pourquoi, dans l’ordon­nance de cette méditation, nous diviserons chaque point en trois parties qui pourraient constituer les points de méditations distinctes. Nous considérerons successivement la tentation de la désolation ; celle de la sensualité ; et celle qui naît de notre propre misère.

 

« In quo exsultabitis, modicum nunc si oportet contristari in variis tentationibus. » (1 Pe 1, 6).

L'espérance doit vous transporter de joie, si dans le court espace de la vie présente, des épreuves de diverses sortes ont à vous affliger.

1er Prélude. — Transportons-nous par la pensée dans la demeure où Marie, ayant auprès d’elle saint Jean, passa les tristes heures qui s’écoulèrent entre la mort de Jésus et la résurrection.

2e Prélude. — Demandons instamment la grande grâce d’avoir une espérance plus forte que toutes les épreuves du temps présent.

I — L'ÉPREUVE DE LA DÉSOLATION

I. L’épreuve elle-même. Dans le monde et dans le cloître, il n’est pas rare que le sens et le goût de la piété se trouvent comme émoussés et perdus. Dieu, les choses du ciel, ne disent plus rien à l’âme. Veut-on prier, on ne réussit qu’à bégayer des lèvres certaines formules qui semblent comme un mensonge dans la bouche qui les prononce ; abandonne-t-on les prières vocales, l’esprit se trouve saisi par un vague assoupissement qui lui enlève son activité. Même après la sainte communion et aux jours de fête, alors qu’on s’attendait à quelque émotion bienfaisante, on demeure sec et froid : la source du sentiment paraît tarie. Quelle différence d’avec les beaux jours passés ! Alors Dieu se présentait de Lui-même, et maintenant on Le cherche en vain ; alors, Il parlait doucement au cœur, et main­tenant nos questions demeurent sans réponse ; alors on croyait expérimenter sa présence, et maintenant on éprouve une impression d’abandon ; alors, c’était le printemps ; maintenant, c’est le morne hiver.

Après nous être rendu compte de cet état, essayons de nous l’expliquer. Il peut dépendre de plusieurs causes.

1. D’abord d’un défaut de tactique. Tandis que tout pro­gresse et que tout change en nous et autour de nous, nos exercices de piété ne sont-ils pas trop littéralement calqués sur nos premiers essais ? Nous parlons, nous agissons autrement qu’à nos débuts dans la vie, que dans notre adolescence, que dans notre jeunesse ; et nous prions toujours de la même façon, suivant une même méthode devenue routinière. Le programme en est uniforme, l’exécution n’en a pas varié. Content des efforts passés, on espère vivre de ce petit capital, sans travail nouveau pour l’enrichir. Médite-t-on, les mêmes scènes appellent les mêmes réflexions. Autrefois, celles-ci pouvaient plaire par leur nouveauté ; dépouillées de ce charme, elles sont à présent comme desséchées, sans suc. L’habitude use tout : la douleur, mais aussi le plaisir et la satisfaction.

2. L’aridité tient souvent à un défaut de générosité. Aupa­ravant on était recueilli, et maintenant on s’est livré au monde extérieur ; on se mortifiait, aujourd’hui l’on prend ses aises ; on cherchait Dieu, tandis qu’à présent on se recherche. Ne l’oublions pas : le sacrifice est le sel de la vie spirituelle. Agissez beaucoup pour Dieu ; presque toujours, vous converserez facilement avec Lui.

3. Une troisième cause de sécheresse est la négligence même avec laquelle on se dispose aux exercices ; l’incurie de la préparation. On recule devant la peine.

4. Cet état d’apathie, qui peut être une conséquence naturelle d’une durée uniforme, constitue encore une épreuve providen­tiellement ménagée en vue de notre plus grand bien. Si déjà, avec l’âge, nous voyons que nous ressentons moins les influences des causes humaines d’émotion, combien plus facilement peut s’alanguir l’ardeur sensible pour les choses qui dépassent la sphère naturelle de notre activité ! Mais, quand le secours sensible est retiré, la place reste libre tout entière pour le vrai fondement de tout : une foi qui agit sans voir ni sentir. Vertu vertes plus difficile et plus laborieuse, mais aussi plus pure et plus méritoire ! Sous la terre glacée qui la recouvre, Dieu voit germer la semence, et se préparer la tige qui va sortir verdoyante de dessous le sol. Ainsi son œil suit attentif ce labeur latent qui transforme une âme et la prépare, sous la froide obscurité d’une foi désolée, aux délicieuses clartés, aux chaudes émotions de la vision éternelle.

Pratiquement, il nous faut ici passer à un examen sincère des causes de nos désolations, pour enlever tout ce qu’elles contiennent de volontaire. En effet, la consolation est une aide dont nous n’avons pas à nous priver nous-mêmes. S’il nous faut accepter avec confiance et patience les désolations permises par Dieu, il n’y a pas à les rechercher ni à les introduire en nous plus que les autres genres de tentations.

IICette épreuve en Marie,1. Rien ne nous est révélé sur les consolations intérieures de la Sainte Vierge. Nous savons pourtant que chez elle, la désolation ne put être qu’une épreuve de sa vertu. Et certaines situations de sa vie offrent comme le type achevé de la désolation complète. Songeons aux trois jours qui s’écoulèrent depuis la perte de Jésus jusqu’au moment où Il fut retrouvé au temple ; pensons aux années que Marie passa sans Jésus, comme si elle en était ignorée ; à tout le temps enfin, qu’elle Lui survécut après l’ascension.

Cherchons à pénétrer l’immensité des sacrifices qu’elle fit en ces circonstances. Mais comment y parvenir ? Il faudrait, à tout le moins, le cœur d’une mère, pour ressentir la joie qu’éprouve pareil cœur en compagnie d’un fils uniquement aimé, et y opposer ensuite le déchirement d’une longue sépa­ration. Combien plus atroce, le déchirement du cœur de Marie, vivant loin de Jésus !

2. Mais, durant tout le temps de ces épreuves, l’âme de Marie, toujours grande et robuste, ne chancela pas. Son action ne fut pas diminuée, ni son ardeur réelle, ralentie. Admirons ce courage.

III. L’épreuve de la désolation dans notre vie. L’épreuve de la désolation est une époque précieuse dans notre vie. Elle nous fournit l’occasion de multiples mérites :

Mérite de l’humilité, si nous acceptons la peine sans irritation ni secrète amertume.

Mérite de la patience, si nous continuons à bien faire, sans nous laisser émouvoir par le sentiment de la répugnance, ni lasser par la longueur du temps.

Mérite propre de l’espérance. De violents assauts viennent parfois fondre sur l’homme à l’heure même où il ne sent plus les puissantes énergies qui sont en lui ; et c’est le propre de la désolation de projeter sur l’avenir les plus sombres couleurs, d’y faire entrevoir des luttes sans trêve et d’insurmontables difficultés. Mais, sans même prendre la peine de dissiper ces fantômes, je tiendrai le langage de l’espérance : Quelle que soit la fureur de l’ouragan, quelques grands que puissent être le nombre, la force et la malice de mes adversaires, je ne cesserai de redire : Si consistant adversum me castra, non timebit cor nieurn (Ps 26, 3). Des armées seraient campées contre moi que mon cœur, fort de son Dieu, n’en serait point effrayé. Et j’ai la confiance qu’un jour j’ajouterai : Seigneur, vous avez arraché mon âme du gouffre de la mort et de l’enfer (Ps 29, 4).

Même avant la désolation, pour prévenir notre faiblesse, veillons avec soin à ne rien fonder sur le fragile appui d’un goût ou d’une consolation nécessairement passagère.

II — LA TENTATION DE LA SENSUALITÉ

I. — De tout autre allure que la désolation, est l’épreuve de la sensualité. La désolation se présente triste, consternée, ne prenant intérêt à rien, sans programme positif. La sensualité est gaie, souriante, et propose perfidement un objet séduisant. Celle-là disait : n’aimez rien ; celle-ci suggère de s’attacher passionnément mais à un bien présent et sensible. Combien dangereux ces attraits qui détournent notre vue de l’avenir ! Voyez autour de vous les ravages faits par ces charmes funestes ! Que d’hommes perdus moralement pour s’y être laissé perdre ! Et même chez ceux qui se conduisent bien, que de satisfactions actuelles poursuivies aux dépens d’une joie meilleure mais future !

II. — Marie n’eut point à subir l’assaut de la sensualité au-dedans d’elle-même. Mais dans son admirable virginité, elle nous donne l’exemple d’une parfaite supériorité sur les sens.

Félicitons-la de l’élévation de ses vues ; et constatons la réalité de son bonheur.

III.— La tentation de la sensualité guette toujours, à notre porte, le moment de nous envahir. Armons-nous contre elle : a) par la prière ; b) par la méditation : pénétrons la vanité de la satisfaction qui nous est offerte, et la réalité prochaine de nos magnifiques espérances ; c) par l’acceptation sincère du sacrifice bien réel que nous avons sciemment offert, suivant les devoirs de notre état ; d) par l’habitude des renoncements et des petits sacrifices, qui nous familiarisent avec la victoire.

III. — LE SENTIMENT DE NOTRE MISÈRE

I. — Une fausse humilité risque de nous porter un coup fatal. La considération, par ailleurs si utile, de notre misère propre peut aussi nous abattre et nous décourager. Il ne faut pas que la disproportion de ce que nous sommes et de ce que Dieu nous dit d’attendre, nous amène à une conclusion déprimante. Quand cette tentation nous assaille, rappelons-nous l’infinité du pouvoir de Dieu et des mérites de Jésus-Christ, et à l’exemple de saint Ignace, repoussons résolument tout sentiment qui nous empêcherait d’avoir une entière confiance en Dieu.

Examinons soigneusement si une tentation de ce genre n’a pas eu prise sur nous. Répétons souvent la prière de ce grand saint : « Donnez-moi, Seigneur, l’humilité, mais une humilité qui me permette de vous aimer » (de Franciosi, L’esprit de S. Ignace, V, sur l’humilité.).

II —Marie, tout exempte qu’elle était de misères personnelles positives, voyait si clairement son néant, que cette vue aurait pu lui inspirer les pensées les plus désolantes, si la force de son espérance ne leur avait interdit toute approche.

III. — Quel sera pour nous le préservatif ou le remède, contre pareille tentation ? La prière, toujours la prière. Puis, la con­viction, de plus en plus profonde, de cette double vérité : Dieu, auteur de la promesse, n’ignore pas ma misère ; le fondement de ma confiance est en Lui, pas en moi. Il y a une gloire spéciale pour Dieu, à faire tant pour qui vaut si peu.

 

Prions ardemment Marie, afin que notre espérance surmonte tous les obstacles, et ne vienne jamais à sombrer. Salve Regina ! Spes nostra, salve ! Salut, ô Reine ! ô vous, notre espérance, salut !