LES SAMEDIS DE LA VIERGE MARIE
LES GRÂCES DE MARIE

CINQUIÈME SAMEDI

La grâce sanctifiante de la Mère de Dieu.

Plan de la méditation. — Nous nous occuperons, dans cette méditation, de la grâce sanctifiante initiale, de ce fonds précieux de richesses spirituelles que nous avons à faire fructifier en vue de la vie éternelle. Après une considération générale de ce bienfait, matière du premier point, la grâce initiale de Marie fera l’objet d’un second point ; et notre grâce initiale, celui du troisième et dernier point.

MÉDITATION

« Diligit Dominas portas Sion, super omnia tabernacula lacob. » (Ps 86, 2.)

Le Seigneur aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob.

1er PRELUDE. — La scène se passe encore à Nazareth, dans l’humble demeure de Marie. L’ange Gabriel salue en Marie une créature pleine de grâce.

2e PRELUDE. — Nous demanderons instamment la faveur d’apprécier dignement notre élection à la grâce, afin de ne pas dissiper un trésor aussi précieux.

I. — LA GRÂCE INITIALE, EN GÉNÉRAL

I. — Nature et degré de la grâce initiale. — 1. Au bienfait d’une vie surnaturelle, Dieu a daigné ajouter, pour ses créatures raisonnables, celui d’une vie surnaturelle et divine qu’il met en eux, en leur donnant la grâce sanctifiante.

Efforçons-nous de comprendre un peu mieux cette inestimable faveur.

La grâce sanctifiante est un complément véritable de notre être, mais nullement dû ; une forme réelle, une qualité habituelle qui nous élève au-dessus de toute nature créée et nous donne une ressemblance ineffable avec Dieu. Elle nous rend justes, saints, agréables à ce Dieu dont, par elle, nous cessons d’être les simples serviteurs pour devenir les enfants adoptifs, paternellement chéris. De même qu’à notre nature répondent les facultés et une activité harmonieusement proportionnées à notre destinée purement naturelle, ainsi, à la grâce sanctifiante répondent des facultés supérieures, les vertus infuses, et une activité en rapport avec notre fin surnaturelle et divine. Tout un ensemble de dons sublimes descendent, par conséquent, dans notre âme en même temps que la grâce sanctifiante. Bien plus, en attendant que nous allions jouir de son héritage, le Père que nous avons dans les cieux vient en nous, appelé par la grâce sanctifiante : Dieu habite dans le juste ; le corps du juste est le temple du Saint-Esprit.

La grâce sanctifiante, c’est Dieu voulant nous rendre semblables à Lui, nous faire partager son bonheur, nous y invitant formellement, et créant l’amabilité qui rend possible son amour !

Et cette faveur est absolument gratuite : nous sommes aussi radicalement impuissant à mériter ce bienfait, à nous y disposer, que le néant est incapable de se préparer à recevoir l’existence !

Cette grâce, Dieu la répand en l’âme à des degrés divers, d’après un plan infiniment sage, dont l’économie ne nous est pas révélée (Concile de Trente, sess. 6, ch. 7.). Nous savons pourtant qu’il a égard aux dispositions des adultes. Et quand, au saint baptême, la grâce est communiquée à une âme d’enfant, l’étroite solidarité que Dieu a établie entre les hommes, même pour la vie surnaturelle, nous donne lieu de croire (En même temps que notre opinion, nous faisons connaître les motifs qui l’appuient. Elle est fondée sur l’économie générale du salut des hommes.) que les dispositions des parents, la vertu du ministre même conférant le sacrement, et les prières offertes à Dieu à cette fin influent sur l’abondance de la grâce accordée.

II — Quels sentiments la claire intelligence de cette doctrine évoquera-t-elle en nos âmes ? Quelles conclusions pratiques aurons-nous à en tirer ?

Les sentiments et les résolutions utiles se présentent en foule.

L’étendue du bienfait appelle l’admiration et la reconnaissance. « Qu’est-ce que l’homme, pour que vous en fassiez tant de cas ? (Jb 7, 17) » — b) Le prix de la grâce, son incompatibilité avec le péché, nous doivent inspirer une profonde aversion pour toute faute grave — c) La gratuité du bienfait nous remet en mémoire les paroles de saint Paul : « Que possédez-vous que vous n’ayez reçu ? Pourquoi vous glorifier comme si ce n’était pas un don ? (1 Co 4, 7) » La vérité chasse la vanité. — d) La souveraine dispensation des grâces nous dicte pour le plan divin une soumission respectueuse et filiale. — e) Nous avons à remercier Dieu des vertus de nos parents, car nous avons profité de leurs prières et de leurs mérites ; et les parents devraient prier, dès avant la naissance de leurs enfants, pour que ceux-ci soient prévenus de grâces de choix.

Trop peu de parents, même chrétiens, songeant à employer cette intercession en faveur de l’enfant à naître : préoccupés de la santé et de la vie du corps, ils n’ont pas le même souci de la vie surnaturelle.

L’estime de la grâce portera encore les parents à différer le moins possible l’heure du baptême.

II — LA PREMIÈRE GRÂCE
DE LA MÈRE DE DIEU

I. — Pour saisir les caractères de la grâce initiale de Marie, comparons-la à la grâce de Jésus-Christ, et à celle des autres hommes.

La grâce de Jésus-Christ, a) La nature humaine du Christ, physiquement unie à la divinité, participait, par cette union, avec la personne du Verbe, à la sainteté substantielle du Verbe, c’est-à-dire, indistincte de Lui, qui donnait à ses actes un mérite infini. Les opérations de Jésus-Christ, même sans la grâce sanctifiante, étaient dignes de la vie éternelle ; seul Il aurait pu mériter la grâce sanctifiante, s’il l’avait reçue postérieurement à son existence humaine.

b) Cette même union avec le Verbe exigeait l’exclusion de tout péché actuel et même de toute participation au péché originel.

c) La grâce de Jésus-Christ ne connut pas d’accroissements. Il obtint, dès l’abord, toute la grâce sanctifiante que Dieu jugeait convenable pour son Fils unique. Bien plus, cette grâce fut consommée en Lui dès le premier instant par la vision béatifique dont Il ne cessa de jouir. En d’autres termes, la grâce de Jésus-Christ ne s’accrut pas : et ce fut la grâce, non d’un voyageur sur la terre, mais d’un bienheureux possesseur du paradis.

d) La grâce des autres hommes, a) Depuis le péché originel, les hommes ne reçoivent plus la grâce au premier moment de leur existence. Elle n’accompagne plus la propagation de la nature humaine, mais elle attend le moment où ce sauvageon, qu’est tout nouveau-né, se greffe sur le tronc béni du véritable olivier, Jésus-Christ (Rm 11, 17, 24). Insertion due jadis à la foi des parents dans le Rédempteur futur, qui se fait normalement, aujourd’hui, par le rite sacramentel du baptême (On sait d’ailleurs que l’acte d’amour parfait, accompli à l’aide d’un secours actuel de Dieu, et contenant le vœu implicite du sacrement du baptême, supplée le rite sacramentel pour l’effet essentiel de l’amitié et de la grâce, non pas pourtant pour le caractère surnaturel et l’aptitude à recevoir les autres sacrements.).

Cette grâce promet la gloire, mais ne la donne pas actuellement ; et tout le temps de la vie, elle est destinée à recevoir d’heureux accroissements.

e) La grâce de la Mère de Dieu. Par sa grâce initiale, la Mère de Dieu se trouve placée entre les autres hommes et son Fils, Jésus-Christ.

La grâce de la maternité divine n’est pas sanctifiante par elle-même. Marie n’est pas, comme son divin Fils, substantiellement sainte. Prises en soi, sa nature et sa personne ne renferment aucun titre positif à recevoir la grâce sanctifiante. Mais considérez Marie au concret, avec sa vocation à la maternité divine : aussitôt elle vous apparaît comme la femme revêtue du soleil, Jésus-Christ ; comme la fille et la fiancée de Dieu, que ce céleste époux ne peut s’empêcher d’aimer ; appelée à entrer en contact physique avec la source de la grâce, elle doit recevoir à flots cette onde divine ; avant de donner la vie corporelle à un Dieu, il faut que la vie surnaturelle la rende digne de faire ce présent : une grâce insigne va la préparer à contracter avec Dieu une affinité perpétuelle. À combien de titres la grâce était moralement due à la Mère de Dieu ! En nous, rien n’appelait la grâce ; en Marie, elle était exigée par une grâce plus grande, bien gratuite celle-là, la grâce de la maternité divine.

D’autre part, la grâce sanctifiante de Marie est, comme la nôtre, l’effet (anticipé) de la Rédemption, aussi bien que la grâce même de la maternité. Elle peut et doit croître en Marie comme elle peut et doit croître en nous ; et elle n’accompagne pas non plus en Marie la vision béatifique. Par tous ces traits, Marie nous est semblable. Mais elle l’emporte derechef sur nous, par la perpétuité de sa grâce. Marie fut et demeura en état de grâce, dès le commencement de son existence. Elle l’emporte sur nous et sur les purs esprits par la perfection positive de cette vie surnaturelle, reçue, dès l’abord, à un degré éminent. Comment préciser ce degré ? À tout le moins, il fut suffisant pour élever Marie, par des accroissements successifs, au-dessus de tous les élus ; Marie devait être leur Reine à tous. Et d’après une opinion accréditée, la grâce initiale de Marie dépassa elle-même la grâce terminale des plus favorisés (Voyez, par exemple, SUAREZ, in 3 part. q. 27, d. 4, s. 1. Une opinion probable permet même de dire, que la Sainte Vierge reçut dès lors une grâce supérieure à celle de tous les anges et de tous les saints pris ensemble. (Voyez SUAREZ, in 3 partem, q. 18, d. 4.).

Est-ce là une opinion arbitrairement conçue ? Nullement. Dieu a coutume d’aller, dans ses largesses, au-delà du nécessaire. Une grâce élevant peu à peu Marie plus haut que les cieux, c’était le nécessaire ; la grâce la transportant d’emblée à ce sommet, c’était la magnificence coutumière de Dieu. Puis ne semble-t-il pas plus convenable que Marie, prédestinée à être la Mère de Dieu, ne passât jamais par des degrés d’infériorité ? Et ne fallait-il pas, enfin, une grâce absolument privilégiée, unique, pour préparer convenablement l’habitacle du Fils de Dieu ? (Oraison de l’Église pour la fête de l’immaculée Conception.)

II — Appliquons-nous simplement par ces réflexions à faire croître notre estime pour Marie. Rien de plus grand dans le monde créé, que cette Mère !


 

III — NOTRE ÉLECTION A LA GRACE

D’un prix infini à tous ses degrés, le bienfait de la grâce croît d’après sa durée et son abondance.

Dieu nous a donné promptement la grâce. Nous l’avons reçue petits enfants. Elle était avec nous au berceau, n’attendant pour apparaître et agir, que l’éveil de l’héritier du royaume, élu par le meilleur des pères.

Nous l’avons eue, dès lors, abondante. N’appartenons-nous pas à la nouvelle Loi, à des familles chrétiennes qui, depuis un temps immémorial, se sont transmis le patrimoine de la foi catholique ?

La grâce possède en nous, chrétiens, fils de plein droit, et affranchis des vaines observances, une excellence mystérieuse, qui faisait dire au Christ, que Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes de l’ancienne Loi, le cédait au plus humble enfant du Royaume des cieux (Lc 7, 28).

2. Témoignons à Dieu notre reconnaissance ; ayons une grande estime pour la grâce ; soyons généreux pour la faire croître en nous.

COLLOQUE

Après avoir salué Marie, pleine de grâce, nous lui demanderons que notre vie consiste désormais à faire croître la grâce en nous. Ave Maria !