LES SAMEDIS DE LA VIERGE MARIE
LES GRÂCES DE MARIE

SEPTIÈME SAMEDI

Parallèle de la maternité divine
et de la grâce sanctifiante.

Plan de la méditation. — Comparaison instructive et fructueuse, que celle qui met en parallèle la plus haute dignité, la prérogative unique de la plus grande des créatures, et une grâce essentiellement commune à tous les élus du ciel, à tous les bons chrétiens de la terre. Nous verrons successivement la Maternité divine sans la grâce ; la grâce exigée par la Maternité ; enfin la Maternité préparée par la grâce.

MÉDITATION

« Si Unguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non habeam, factus sum velut aes sonans aut cymbalum tinniens. » (1 Co 13, 1).

J’aurais beau posséder l’éloquence des anges et des hommes, si je n’ai la charité, je suis comme un airain sonnant, une cymbale retentissante.

1er PRELUDE. — Nous nous figurerons être à Nazareth, dans la demeure de la Vierge, au moment où l’Ange la salue pleine de grâce.

2e PRELUDE. — Demandons de concevoir une estime profonde, absolue de la grâce de Dieu.


 

I. — LA MATERNITÉ DIVINE
SANS LA GRÂCE SANCTIFIANTE

 (Voyez SUAREZ, in 3 partem, q. 27. disp. 1, section 2, et HUGON, O. Pr. Mater divinae gratiae. Revue Thomiste, 1902, p. 437, ss. ; La Mère de grâce, Paris, 1904, p. 74 ss.)

I. — Lorsque, pour nous conformer aux habitudes de notre esprit, nous séparons deux choses aussi indissolublement unies en Marie que la Maternité divine, et la grâce sanctifiante, il nous faut accorder à la Maternité divine l’avantage de la sublimité. Être Mère de Dieu par une opération naturelle, c’est plus qu’en être l’enfant par une adoption dont la grâce sanctifiante est la cause formelle. Donner à Dieu la nature humaine, c’est plus qu’en recevoir simplement l’élévation de sa propre nature. Commander à un Dieu, obtenir son respect, c’est plus qu’avoir à Lui témoigner une filiale soumission. Appartenir à l’ordre hypostatique par une relation véritable et mutuelle de consanguinité avec Celui qui le constitue, c’est plus qu’occuper la place d’honneur dans l’ordre, moins élevé, de la grâce habituelle : la sainteté a droit au culte de dulie ; la Mère de Dieu doit être honorée du culte d’hyperdulie.

Cependant, la maternité divine ne sanctifie pas par elle-même : elle ne fait pas mériter directement la gloire du ciel. Marie doit son exaltation définitive, le degré de son bonheur éternel, à une sainteté qui se mesure, formellement, sur la grâce sanctifiante. Et, à ce point de vue, nous pouvons appliquer à la maternité divine le langage expressif de saint Paul au sujet des dons les plus estimés : Si j’étais Mère de Dieu et que, par impossible, je n’eusse point la charité, je ne serais rien, je n’aurais aucun profit de mon incomparable dignité ! (S. AUGUSTIN a pu écrire dans ce sens : « Materna propinquitas nihil Mariae profuisset, nisi felicius Christum corde quam carne gestasset ». La parenté maternelle n’eût en rien profité à Marie si elle n’avait plus heureusement porté le Christ dans son cœur que dans son sein. (De sancta virginitate, c. 3. Migne, P. L. t. 40, col. 397). Voyez, pour cette interprétation de S. Augustin, SUAREZ in 3 p. q. 27. d. 1, s. 2.)

II — Proposition renversante pour qui la médite, et pourtant rigoureusement vraie ! Proposition qui, au témoignage des Saints Pères, ne faisait aucun doute pour Marie ; elle n’accepte d’être Mère de Dieu qu’après avoir vérifié l’accord de cette dignité avec tous ses devoirs.

Quelle ne doit donc pas être notre estime de la grâce sanctifiante ; quel prix ne nous faut-il pas attacher à être en paix avec Dieu ! Les signes ou les effets de cette estime sont les suivants :

Elle nous fait, d’un cœur léger, constater en autrui des talents et des succès plus brillants que les nôtres. Nous portons aisément ces infériorités, si nous possédons la grâce de Dieu. À quoi sert tout le reste ?

Elle nous explique la conduite des saints, les précautions qu’ils prenaient, les sacrifices qu’ils s’imposaient pour se garder plus sûrement dans l’amitié de Dieu. Même l’espoir d’un bien à réaliser, s’il peut, d’une part, nous enhardir par la confiance dans un secours divin, ne doit pas nous faire affronter témérairement tout danger.

Elle nous éclaire sur les principes qui doivent guider nos décisions et nos conseils. Dans le choix d’un état de vie, il ne suffit pas d’examiner quelle carrière promet une plus grande action extérieure, mais il faut surtout considérer quel parti assure mieux la sainteté personnelle. Une vue de foi nous enseigne d’ailleurs que la Providence divine concilie harmonieusement toutes choses ; et, qu’en fin de compte, en se laissant guider principalement par le désir de la sainteté, on aboutit à réaliser une plus grande somme de bien général.

Elle nous pousse à concevoir une horreur, une aversion profonde de tout péché.

II — LA GRÂCE EXIGÉE
PAR LA MATERNITÉ DIVINE

I. — Heureusement, l’opposition entre la maternité divine et la grâce sanctifiante est impossible. La maternité exige la grâce sanctifiante ; elle l’exige au plus haut degré ; et, à ce nouveau titre, l’emporte sur elle, comme la contenant. Tâchons de concevoir cette exigence comme saint Augustin, à qui elle faisait écrire : « Quand on parle de péché, je n’admets point qu’il puisse être question de la Sainte Vierge Marie, et cela pour l’honneur du Seigneur » (De natura et gratia, c. 36. Migne, P. L. t. 44, col. 267.).

La maternité exige la grâce sanctifiante. Nul n’en doute. En tant que Mère, la Sainte Vierge va recevoir le respect et l’affection de son Fils. Dans l’ordre présent, Dieu ne saurait chérir une créature où Il ne voie la grâce. Se pourrait-il donc que ce même Fils doive, comme Dieu, repousser celle qu’il embrasse, comme homme, de l’amour le plus tendre ? Ce dualisme ne répugne-t-il pas à l’admirable unité qui règne dans le Fils de Dieu ? — En tant que Mère encore, Marie était tout amour pour son Fils. Cet amour l’entraînait déjà bien loin de ce qui, comme le péché, bannit l’amour divin. — En tant que Mère, elle portait en elle la source de la grâce : pouvait-elle être une lande stérile, privée elle-même de ces eaux salutaires ?

La maternité exige le plus haut degré de la grâce. Comme Mère de Dieu, Marie devait être honorée entre toutes les créatures. De pareils honneurs supposent la sainteté la plus éminente.

II — Si rien en nous n’implique une exclusion nécessaire du péché, la dignité dont Dieu nous a favorisés, la situation où Il nous a mis, n’emportent-elles pas cette exclusion de convenance à laquelle sa grâce nous invite à veiller ? La vertu, et non pas en un degré quelconque, ne devrait-elle pas être rangée parmi ces bienséances auxquelles les hommes savent tant sacrifier ?

III — LA MATERNITÉ DIVINE,
PRÉPARÉE PAR LA GRÂCE

I — Sous un autre rapport, la grâce qui orna l’âme de Marie la prépara à être Mère de Dieu ; la disposa, au sens large du mot, à monter à la plus haute dignité, et à rendre à l’humanité le plus grand service qui fut jamais. Car aucun acte n’est plus apostolique que le consentement de Marie à devenir Mère de Dieu. Quelle sainte et belle alliance de la grâce et de la fécondité du zèle !

II — Assurément, Dieu ne supplée pas toujours miraculeusement les talents et l’habileté naturelle, même pour des effets qui paraissent importer à sa gloire. Des saints peuvent être des prélats imprudents, des directeurs malavisés, et de très médiocres prédicateurs. Mais l’action la plus réellement et la plus complétement féconde est assurée par le talent mis au service de la sainteté. Et des talents sans vertu sont souvent stériles, s’ils ne causent même les plus grands dommages. Chacun de nous doit donc se dire : Si j’aspire à faire du bien, je dois me sanctifier. Illusion perfide, et parfois fatale, de regarder la sainteté comme inutile ou accessoire !

COLLOQUE

Admirant en Marie cette complète préférence qu’elle accorda à l’amitié de Dieu, nous la supplierons de nous apprendre à dire avec saint Ignace : « Prenez, Seigneur, toutes choses, mais laissez-moi votre amour et votre grâce ! » N’admettons pas d’attache absolue pour quelque autre chose que ce soit. Ave Maria !