POURQUOI APPELLE-T-ON MARIE LA NOUVELLE ÈVE ? - 1 / 3
Marie est « nouvelle Ève » auprès du Christ « nouvel Adam » : ce parallèle antithétique justifié abondamment par les Pères de l’Église en de nombreux écrits est « le grand enseignement rudimentaire de l’Antiquité chrétienne » (cardinal Newman) et il manifeste l'unité du plan de salut voulu par Dieu.
1. Trois passages-clés de l’Écriture permettent d’appeler Marie « nouvelle Ève » :
- le dit « Protévangile », adressé par Dieu au serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon » (Genèse 3, 15) ;
- la vision du Christ comme « nouvel Adam » (Romains 5, 20) développée par saint Paul a amorcée l’opposition Ève-Marie : le Christ, engendré par Marie, répare la faute commise par Adam ;
- dans l’Évangile de Jean Marie n’est jamais désignée par son nom, mais Jésus l’appelle du nom de « Femme » ; en plus de signifier que le temps des relations filiales est achevé, il renvoie à la Genèse, et au texte de l’Apocalypse où la « Femme », la Mère du Messie, combat contre le dragon, ainsi assimilée à l’antique Ève dans sa lutte contre le serpent.
1°/ Une femme est annoncée dès la Genèse dans le combat contre le mal universel
Dans le texte de Genèse 3,5 Dieu s’adresse au serpent des origines : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon ».
Un commentaire autorisé relève à quel point : « Il est significatif que l’annonce du rédempteur, du sauveur du monde, contenue dans ces paroles, concerne « la femme ». Celle-ci est nommée à la première place dans le protévangile, comme ancêtre de celui qui sera le rédempteur de l’homme. Et si la rédemption doit s’accomplir par la lutte contre le mal, par l’hostilité entre le lignage de la femme et le lignage de celui qui, comme « père du mensonge » (Jean 8,44), est le premier auteur du péché dans l’histoire de l'homme, ce sera aussi l’hostilité entre lui et la femme. Dans ces paroles s’ouvre la perspective de toute la révélation, d’abord comme préparation à l'Evangile, puis comme l’Évangile lui-même. Dans cette perspective, les deux figures de femme : Ève et Marie, se rejoignent sous le nom de la femme » (saint Jean-Paul II, lettre apostolique Mulieris dignitatem, n° 11).
Première annonce d’une victoire sur le mal, cette parole divine est couramment appelée le « protévangile », c’est à dire la première bonne nouvelle du salut
Or, ce verset biblique du protévangile devait connaître une étonnante résonance liée à des vicissitudes de traduction. Le texte hébreu en effet semblait dire que la postérité de la femme écraserait la tête du serpent. Autrement dit, le mal serait vaincu par le peuple issu de la première Ève. Mais déjà la traduction grecque appelée Septante (LXX, IIIe siècle avant Jésus-Christ) semble insinuer que ce serait un descendant d’Ève qui terrasserait le serpent. C’était infléchir le texte dans un sens plus nettement messianique. Un fils d’Ève sera vainqueur du mal.
La traduction latine de saint Jérôme connue sous le nom de Vulgate allait quant à elle orienter dans un sens marial l’exégèse de ce même verset
On lisait en effet : « Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo eius. » Le pronom personnel féminin ipsa, que nous avons souligné, ne peut se rapporter qu’à mulier, la femme. Autrement dit, pour la Vulgate, Dieu promet que c’est la femme elle-même, et non plus sa descendance, qui écrasera la tête du serpent. Toute la tradition latine allait donc interpréter ce verset dans le sens d’une prédiction de la Vierge Marie, femme qui foule au pied le mal. C’est la source de l’abondante iconographie qui présente Marie piétinant l’antique serpent satanique. On comprend que cette interprétation du texte biblique préparait l’adoption du dogme de l’Immaculée Conception. Il était clair que la Vierge Marie était cette femme victorieuse du péché annoncée par Dieu lui-même dans le protévangile.
2°/ Le Nouveau Testament établit la comparaison du Christ avec Adam et c’est à partir de là que l’on en est venu à penser l’opposition Ève-Marie
Saint Paul développe un parallèle entre Adam et le Christ (cf. Romains 5,12-21 ; 1 Corinthiens 15,22). Comme le déclarait le pape Jean-Paul II, « auprès de toutes les générations, dans la tradition de la foi et de la réflexion chrétienne sur la foi, le rapprochement entre Adam et le Christ va souvent de pair avec le rapprochement entre Ève et Marie ».
Le Christ, engendré par Marie, est le nouvel Adam qui répare la faute commise par celui-ci
« C’est de la descendance d’Abraham qu’il se charge » (Hébreux 2,16). Or, par Jésus-Christ nous sommes « descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » (Galates 3,29). Et, à partir de cet ancêtre, nous rejoignons Adam. « Le Logos visite Adam dans le sein de la Vierge Mère » (saint Hippolyte, Fragment de la grande Ode). Pour saint Basile de Césarée (329-379), « de même que le premier Adam n’est pas né d’un homme et d’une femme, mais a été formé de la terre, de même le dernier Adam, qui devait guérir la blessure du premier, a pris un corps dans le sein de la Vierge, pour être, quant à la chair, égal à la chair de ceux qui ont péché » (Commentarius in Isaïam 7, 201).
3°/ Jésus lui-même renvoie à la Genèse quand il appelle sa Mère du titre de « Femme »
D’autre part, nous remarquons qu’aux noces de Cana (Jean 2,4), comme au Calvaire (Jean 19,26), Marie est appelée « Femme » par Jésus. Ces deux passages ont en commun qu’il y est question de « l’heure » de Jésus, qui arrivera avec sa Passion glorieuse. L’évangéliste parle de Marie comme de la « Mère de Jésus », mais Jésus lui-même l’appelle « Femme », terme inusité dans la bouche d’un fils et qui renvoie incontestablement à la « femme » du protévangile, faisant de Marie le contrepoint d’Ève. En effet, l’Évangile selon saint Jean considère la Maternité divine de Marie, non seulement dans son rapport immédiat avec le Christ, tête du Corps mystique de l’Église, mais aussi par rapport à tous les membres de ce corps. C’est pourquoi les auteurs voient dans ce nom une allusion au protévangile de Genèse 3,15 qui, nous l’avons dit, annonce le triomphe de la femme et de sa descendance sur le démon.
En employant le terme « femme », Jésus « tient à signifier [à Marie] que le temps des relations familiales humaines est achevé »
Jésus « ne peut plus être considéré comme le fils humain de Marie, et la Vierge a cessé son rôle de mère humaine de Dieu. […] Le temps de la Theotókos (littéralement : "génitrice de Dieu", habituellement traduit par "Mère de Dieu") est achevé ; vient celui de l’Église-Épouse qui sera la vraie parenté définitive du Fils de Dieu. Marie doit passer de sa fonction de mère de Jésus à celle de femme dans l’Église. Mais, ce titre de « Femme » que lui donne Jésus, à la place de celui de « Mère » a un caractère solennel. […] Comme mère, Marie passe de la fonction de Mère de Dieu à celle de Figure de l’Église, du rôle humain et spirituel de mère humaine du Messie, au rôle purement spirituel de femme croyante dans l’Église » (Max Thurian).
Marie est aussi évoquée dans le « signe grandiose » de la Femme qui apparaît au Ciel au livre de l’Apocalypse (Apocalypse 12,1)
Dans la révélation de l’Apocalypse, Marie sera associée à la royauté universelle de son Fils : « Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Actes des Apôtres 12,1). « La grâce qui parvient à l’humanité à travers Marie est beaucoup plus abondante que les dommages qui proviennent du péché de nos premiers parents. En Marie, comme en aucune autre créature humaine, nous voyons le triomphe de la grâce sur le péché, nous voyons s’accomplir la prophétie de la Genèse de la descendance de la femme qui écrase la tête du serpent infernal » (Jean-Paul II, Homélie à Sainte-Marie-Majeure, 8 décembre 1985). Paul VI le confirme dans son exhortation apostolique Signum Magnum (1967) : « Le grand signe que l’apôtre saint Jean contempla dans le ciel, la femme revêtue de soleil, est à juste titre dans la sainte liturgie de l’Église catholique interprétée de la Bienheureuse Vierge Marie, par la grâce du Christ Rédempteur, Mère de tous les hommes ».